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Adieu au langage

Le lundi 26 mai 2014, par Laurent Sapir

La filmographie de Jean-Luc Godard a pris une tournure étrange et fascinante. Aux films ont succédé des dérivées de films. L'écume après la vague, d'une certaine manière... Collages, citations et saynètes diverses et variées disposent, dés lors, du même pouvoir de captation qu'une ombre ou un reflet.

Adieu au langage en est la quintessence crépusculaire. Un chien qui déambule sur l'air de la 7eme symphonie de Beethoven, un couple en voie de séparation, Soljenitsyne sur iPhone, des mains qui tentent de se rejoindre derrière une une grille, Gregory Peck et Ava Gardner dans Les Neiges du Kilimandjaro, un enfant juif qui demande "Pourquoi ?" à l'entrée d'une chambre à gaz et le SS qui hurle "Ici, il n'y a pas de pourquoi !", des coquelicots fluorescents, le mot "caméra" qui signifie "prison" en russe, une forêt comparée à un pubis féminin, des natures mortes comme chez Monet, des tournesols comme chez Van Gogh...

Jonglant avec la beauté du monde et les racines du mal, l'inventaire n'excède pas 70 minutes. On dirait un clip philosophique. L'état de nature y est invoqué avec la même force que le refus de filmer des "personnages" en tant que tels. Godard se raccroche d'abord à l'essence de l'être et la perçoit, semble-t-il, dans l'âme canine. Ce pessimiste rousseauiste ne croit même plus dans le pouvoir des mots, et encore moins dans une image redimensionnée en 3D dont il cultive à la fois les très fortes potentialités esthétiques et les versants dictatoriaux, jusqu'à provoquer le malaise atrabilaire dans ce qui, parfois, advient à l'écran.

Si déroutant soit-il, cet Adieu au langage est en même doté d'une respiration interne qui en fait, dans sa dernière période, l'une des oeuvres les plus accessibles de JLG. L'une des plus apaisées, également, même si le contemplatif n'est plus de saison. Les visions se bousculent, certainement parce qu'on est au soir d'une vie, mais elles participent encore d'un ordonnancement dont la radicalité et la beauté suprême nous éblouissent. Magie-même de l'écriture faite cinéma.

Adieu au langage, Jean-Luc Godard, en compétition au festival de Cannes (Le film est sorti le 21 mai)

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