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Charlie Parker à la lettre

Le vendredi 04 septembre 2020, par Laurent Sapir
À l'occasion du 100e anniversaire de la naissance de Charlie Parker, le 29 août 1920, TSFJAZZ a diffusé toute cette semaine un abécédaire résumant les moments les plus créatifs, les plus magiques et les plus tourmentés de son parcours.

A comme Art Tatum. Voir New-York et survivre. Après avoir vivoté de Kansas City à Chicago, le tout jeune Charlie Parker prend le bus pour Big Apple en 1939. En attendant son affiliation officielle au syndicat des musiciens, il trouve un job de plongeur dans un restaurant de Harlem, le Jimmy's Chicken Chack, où un certain Malcolm X fera lui aussi la vaisselle quelques années plus tard. En attendant, la vedette des lieux, c'est le pianiste Art Tatum. Depuis les cuisines, Bird assiste bouche-bée aux légendaires cascades du maître sur son clavier. Il est bluffé par sa virtuosité et la sophistication de ses accords. Lorsqu'il repart à Kansas City fin 1939, ce n'est plus le même Charlie Parker... "Je rêve de jouer un jour à l'alto les phrases de la main droite de Tatum", aurait-il dit à l'un de ses amis.

B comme Be-Bop. Aux côtés de Dizzy Gillespie, Thelonious Monk et Kenny Clarke, Charlie Parker a personnifié le be-bop, cette révolution harmonique qui s'empare de la 52e Rue au mitan des années 40. Les beboppers sont des réfractaires. Réfractaires à une certaine routine propre aux grands orchestres swing. Réfractaires, aussi, à une société blanche qui a codifié à sa manière le jazz au risque parfois de l'affadir. Les temps sont troublés. L'Amérique entre en guerre, des émeutes éclatent à Harlem, les musiciens décrètent une grève des enregistrements. Le be-bop naît ainsi presque secrètement, en-dehors de toute exploitation commerciale immédiate, revendiquant une façon d'être et un langage propre sans pour autant renier les anciens. Surtout lorsqu'ils ont pour noms Coleman Hawkins, Lester Young ou encore Roy Eldridge

C comme Cherokee. Il y eut, certes, Billie's Bounce, Now's The Time, Hot House... Mais la vraie "rampe de lancement" de Charlie Parker, pour reprendre les mots du regretté Alain Tercinet, c'est Cherokee, composé par Ray Noble, un Anglais émigré aux States qui avait eu l'idée de cet air indien de pacotille. Bird le transforme en chevauchée fantastique. Il en accélère la vitesse d'exécution, jusqu'à utiliser les hauteurs de la structure harmonique comme base d'une nouvelle ligne mélodique. C'est en 1942 qu'a lieu cette transformation, notamment lors d'une fameuse nuit auMonroe's, à New-York. Il ne restera plus qu'à graver ce Cherokee façon be-bop sous un nouveau nom. Ce sera chose faite en novembre 1945 sous le titre Koko. À ne pas confondre avec le Ko-Ko de Duke Ellington...

D comme Dizzy Gillespie."Quand il a commencé à jouer, mon corps s'est mis à trembler, mes jambes se sont transformées en choucroute"... C'est ainsi que Dizzy Gillespie évoque sa première rencontre avecCharlie Parker en 1939, à Kansas City, alors que le trompettiste tournait avec avec le big band de Cab Calloway. Les deux compères se retrouveront dans les orchestres de Earl Hines et Billy Eckstine avant de fixer ensemble, en février et mai 1945, les premiers témoignages du be-bop, de Groovin' High à Salt Peanuts, tout en se produisant dans le mythique Three Deuces de la 52e Rue. Un séjour californien compliqué, en 1946, mettra fin à ce binôme d'exception, mais les deux musiciens resteront toujours très liés,Gillespie n'hésitant pas à décrire son ami comme le "deuxième battement de son cœur"...

E comme Earl Hines. En 1928, Earl Hines intègre comme pianiste le second Hot Five de Louis Armstrong. En décembre 1942, il engage dans son orchestre-pépinière Charlie Parker, Dizzy Gillespie, mais aussi une certaine Sarah Vaughan ainsi que Billy Eckstine qui, par la suite, emmènera tout ce beau monde avec lui parce que l'orchestre ne sonnait pas suffisamment bop. Il n'empêche que Charlie Parkers'est bien plus épanoui chez Earl Hines que dans l'orchestre de Jay McShann où il avait fait ses premières armes à Kansas City. C'est d'ailleurs à cette même époque, en 1943, que lui et Dizzy Gillespie font le bœuf tous les lundis soir au Minton's, ce club new-yorkais qui est resté dans l'histoire comme le premier grand QG du be-bop.

F comme Féminin. Première présence féminine dans la vie de Charlie Parker, Addie, sa mère aux origines indiennes qui, dans l'évocation romanesque d'Alain Gerber, sacrifie ses derniers 45 dollars de femme de ménage pour acheter à son fiston un saxo rafistolé avec des bouts d'élastique. Il y aura ensuite Rebecca Ruffin, son premier amour de jeunesse qui ressemblait à Lena Horne et qu'il épouse à 16 ans alors qu'il est déjà sous l'emprise de la drogue et de l'alcool. Mariages plus éphémères avec Géraldine Scott en 1942 et Doris Snyder en 1948. La danseuse Chan Richardson rencontrée au début des années 50, c'était autre chose... Peut-être était-elle la plus "parkérienne" de toutes, jusqu'à se remarier après la mort de son mari avec le saxophoniste Phil Woods...

G comme Goguenard. Goguenard, caustique, prenant soudainement un accent britannique qu'il affectionnait... Miles Davis, entre autres, n'a pas été le dernier à décrire Charlie Parker sous cet angle du musicien farceur dans les bons jours, sournois dans les mauvais, mais avec toujours cette même lueur de malice dans le regard qui semblait faire paravent à tout ce qui était déjà déglingué de l'intérieur. D'où toutes ces frasques qui ont fait la légende de Bird : errant dans un couloir d'hôtel tout nu dans ses chaussures, avalant des pétales de rose offerte par un admirateur avant de passer ce qui reste de la fleur à sa boutonnière... Il finira même par mourir d'un éclat de rire en regardant un spectacle de jongleurs à la télévision.

H comme Humilié.  Un coup de cymbale bien humiliant pour Bird, jusqu'à revenir en leitmotiv dans fameux film de Clint Eastwood. 1936. Au Reno Club de Kansas City où l'orchestre de Count Basie règne en maître, le tout jeune Charlie Parker monte sur scène à l'issue du set pour "jammer" avec les pointures de l'époque... sauf qu'il s'emmêle dans ses accords en doublant le tempo! C'était l'époque où "il marchait tout en rond pendant qu'il jouait", écrira Jack Kerouac.... Aussitôt le batteur de Count Basie, l'implacable Joe Jones, frappe sa cymbale tel un coup de gong signifiant à un candidat qu'il est éliminé. Il dévisse ensuite cette même cymbale et l'envoie valser aux pieds de l'intéressé qui doit quitter la scène sous les quolibets. "Je leur clouerai le bec", se serait alors promis Charlie Parker... 

I comme Infortune. Contrairement à certains de ses partenaires comme le trompettiste Red Rodney avec lequel il fit une tournée homérique dans les États du Sud en 1949, Charlie Parker ne fut jamais arrêté pour détention de drogue. Rare coup de chance dans une destinée sous le signe de l'infortune, de la détresse et de l'autodestruction. "Bird donna davantage et reçut moins que quiconque", disait Max Roach. Interné à plusieurs reprises et contraint de mettre en gage ses instruments pour avoir sa dose d'héroïne, il ne fait les premières pages des journaux que lorsqu'il tente de se suicider en avalant de l'iode en août 1954. Quelques mois auparavant, il venait de perdre sa fille, Pree, âgée de deux ans et qui souffrait depuis sa naissance d'une malformation congénitale. Il perd alors définitivement pied.

J comme Just Friends.  Charlie Parker cordes et âme. Lorsqu'il enregistre en novembre 1949 Charlie Parker with Strings dont Just Friends sera le morceau-phare, le saxophoniste ne s'attend pas à la tempête qui va suivre. Charles Mingus et Gerry Mulligan sont les premiers à grogner. Bird a-t-il cédé aux sirènes commerciales ? Clifford Brown et Stan Getz vont pourtant eux aussi se prêter plus tard au même type d'album. En vérité, c'est Parker lui-même, à l'écoute de la musique symphonique européenne, qui a incité Norman Granz, le patron de Clef Records, à organiser cette séance censée lui faire franchir un pas décisif dans une hiérarchie musicale où il croit occuper l'échelon le plus bas. À cette musique soyeuse et lyrique fera écho une autre séance avec cordes en 1950... Et un autre standard d'anthologie, Laura.

K comme Kansas City. C'est là il est né... et où il repose au Lincoln Cemetery. Kansas City, terre de blues et décor de rêve pour Charlie Parker. À partir des années 20, cette ville du Midwest constitue l'un des principaux pôles musicaux avec New-York et Chicago. L'alcool y coule à flot au sous les auspices du maire, Tom Pendergast, qui n'a que faire de la Prohibition au grand bonheur des gangs qui pullulent sur fond de floraison musicale. Floraison façon Bennie MotenAndy Kirk qui a engagé la pianiste Mary Lou Williams, et surtout Count Basie dont Charlie Parkeradmire le saxophoniste-vedette, Lester Young. C'est aussi à Kansas City, et après des débuts bien laborieux, que le futur héros du be-bop trouvera un premier engagement conséquent auprès du chef d'orchestre Jay McShann.

L comme Lover Man. Charlie Mingus avait raison: Lover Man est le morceau le plus déchirant de Charlie Parker, même s'il aurait tout donné pour effacer cette séance californienne de juillet 1946, juste avant qu'il ne mette accidentellement le feu à sa chambre d'hôtel, ce qui lui vaudra un séjour en psy à l'hôpital de Camarillo. Bird en manque, donc... Pas seulement parce que Dizzy Gillespie et Miles Davis l'ont planté là pour repartir à New-York. Son dealer attiré, Moose the Mooche, de son vrai nom Emry Bird, a été envoyé en prison. Alors il est comme fou, il voit des insectes à la place des musiciens, rate son intro, se reprend. Chorus en fragments. Howard McGee tente une diversion à la trompette, mais Parker continue à s'enfoncer. Dernières notes stridentes, chaotiques, comme des lambeaux de l'éclat d'autrefois. Et puis le silence...  

M comme Miles Davis. Un été 44. Billy Eckstine passe à St Louis avec dans son orchestre Parker, Gillespie, mais aussi un trompettiste malade qu'il faut remplacer. Le remplaçant, ce sera Miles Davis"Je voulais être avec eux, écrira-t-il, ça se passait là où ils étaient, et ils étaient à New York." Love & Hate, admiration et mépris. Miles Davis dans tous ses états face à Charlie Parker, son génie et ses errances. Lors de la fameuse séance studio de novembre 45, il se souvient encore "des poufiasses qui traînaient, des dealers qui cherchaient Bird"... Il en oublierait presque ses premiers solos sur Now's The Time, ou alors plus tard le break d'anthologie de Parker sur A Night in Tunisia. Miles est un peu vert à l'époque mais avec lui, Bird a plus d'espace qu'avec Dizzy Gillespie. Bientôt, c'est Miles lui-même qui cherchera d'autres espaces.

N comme Norman Granz. Avant de métamorphoser Ella Fitzgerald pour laquelle il va créer la marque Verve, le producteur Norman Granz a prisCharlie Parker sous son aile. Sans forcément raffoler du bebop, il voulait mettre en avant les artistes noirs et surtout les payer autant que les Blancs et en les faisant jouer dans de prestigieuses salles de concert. D'où le projet "Jazz At The Philharmonic" -ou plus simplement JATP- prolongé par la série de 78 Tours de luxe sous le titre The Jazz Scene. De quoi offrir à Parker la scène du Carnegie Hall à partir de 1947 tout en lui permettant de réaliser son rêve d'un album avec cordes. Résultat: des cachets plus élevés pour Bird et une meilleure distribution de ses disques dès lors qu'il signera sur le label Mercury dont Norman Granz pilotait le département jazz.

O comme Oiseau de feu. Avec ce ballet d'Igor Stravinsky, Charlie Parker eut quelques affinités. Pas seulement à cause de son surnom. Dans Bird, justement, de Clint Eastwood, il y a cette scène où Parker vient sonner à la porte de Stravinsky avant de rebrousser chemin par timidité. La rencontre entre ces deux-là a pourtant bien eu lieu en 1951, au Birdland de New York où le maestro d'origine russe était venu écouter du jazz. Ce soir-là, Parker ne s'était pas laissé démonter, allant même jusqu'à glisser dans Koko, son thème de chevet, quelques notes de L'Oiseau de feuStravinsky en fut tellement pantois qu'il renversa son verre sur ses voisins de table. Peut-être avait-il aussi en mémoire les mots de Claude Debussy qui avait taxé de "musique nègre" son célébrissime Sacre du Printemps

P comme Paris.  Le 7 mai 1949, Charlie Parker s'envole pour le premier festival international de jazz de Paris à l'initiative de Charles Delaunay etFranck Bauer. Les anciens y côtoient les modernes, à l'instar de Sidney Bechet et Miles Davis bientôt fou amoureux de Juliette Gréco. CharlieParker, quant à lui, gardera un souvenir émerveillé de ce séjour parisien prolongé par des concerts à Marseille et Roubaix. À Pleyel, il a notamment bluffé Boris Vian. "Il a l’œil vitreux comme un zombie, écrira le poète à la trompinette, mais alors ensuite, quel déluge ! On est soufflé, ahuri "... C'est le même Boris Vian qui relate cette rencontre inopinée  au Club St-Germain entre Bird et... Jean-Paul Sartre ! "Très heureux de vous rencontrer, j'adore votre jeu", aurait lancé le saxophoniste face au pape de l'existentialisme.

Q comme Quintet. Charlie Parker revient à New-York en avril 1947 après une triste escapade californienne ponctuée avec plus de bonheur par une séance avec Erroll Garner. Rien de mieux qu'un quintette pour le relancer, surtout dans ce qui va devenir, d'après la formule de Jacques Réda, la "formation parkerienne classique, celle où la connivence des partenaires et leurs qualités de solistes se trouvent avec l'alto dans le meilleur rapport d'équilibre ". Trois membres de la séance-studio de novembre 45 sont à nouveau là: Miles Davis à la trompette et à la direction musicale, Max Roach à la batterie et Tommy Potter à la contrebasse. Nouveau venu au piano, Duke Jordan, parfois remplacé par Bud Powell ouJohn Lewis. De cette période datent d'autres joyaux comme Parker's Mood, Embraceable You et Scrapple from the Apple.

R comme Ross Russel. Il a attendu son heure, Ross Russel, patron de Dial Records. Car c'est d'abord pour le label Guild que sont gravés en mai 1945 les premiers exploits bop de Charlie Parker et Dizzy Gillespie. En novembre, c'est Savoy Records qui prend le relais avec la première session de Bird sous son nom. Entre-temps, Ross Russel, qui a d'abord été disquaire sur Hollywood Boulevard, a pu créer son label. Résultat: la séance californienne de mars 1946 -celle de A Night in Tunisia et Ornithology -puis la fameuse session Lover Man de juillet 46 dont Parker, alors dans un état lamentable, aurait voulu à jamais gommer l'existence. Ross Russel consacrera par ailleurs au saxophoniste une célèbre biographie,Bird Lives. Il a aussi été manager d'un terrain de golf à Boston et conférencier en Afrique du Sud.

S comme Saxophone. Pour le journaliste et historien Franck Médioni, le triomphe de Charlie Parker est aussi celui du saxophone alto. Dans sa biographie parue en début d'année, il relève que le musicien a d'abord joué avec un Selmer doré, puis un King argenté avec son nom gravé sur le pavillon de l'instrument. Charlie Parker en sortira une sonorité immédiatement identifiable: mate, incisive, tranchante... Un son ultra-puissant, surtout, en utilisant les anches les plus dures possibles. D'après un autre saxophoniste, Lee Konitz, Parker les brûlait pour qu'elles soient rigidifiées de telle sorte qu'aucun autre musicien ne pouvait sortir un son sur le sax de Bird. Autre particularité, pas de vibrato, ou alors très discret, à peine plus expressif dans les ballades. 

T comme Toronto. Ce 15 mai 1953, au Massey Hall de Toronto, au Canada, Charlie Parker, Dizzy Gillespie, Bud Powell, Charles Mingus et Max Roach entrent dans la légende. Ce sont les membres de laNew Jazz Society qui les ont réunis pour ce concert d'anthologie même si le public était quelque peu clairsemé ce soir-là et que les musiciens n'ont jamais touché leurs cachets. Du coup, c'est Mingus qui confisquera les bandes pour les sortir sur son propre label. Perdido, Salt Peanuts... La grâce est au rendez-vous. Elle a des airs de testament. C'est la dernière fois que Parker et Gillespie jouent ensemble, mais pour le trompettiste la soirée finit mal car au même moment son boxeur noir préféré, Jersey Joe Walcott, sur lequel il avait parié gros, vient de faire mettre KO par Rocky Marciano, et cela dès le premier round.

U comme Ultime. Dans la nuit du 4 au 5 mars 1955, après un concert raté au Birdland, Charlie Parker envisage l'heure ultime. Il dit au contrebassiste Charles Mingus : "Je vais partir quelque part où je n'embêterai plus personne". Au saxophoniste Sonny Stitt, il confie qu'il lui remettra bientôt "les clefs du royaume ". Quelques jours plus tard, il se rend à l'hôtel Stanhope de la 5e Avenue chez la baronnePannonica de Kœnigswarter, l'amie et la mécène des musiciens dont Thelonious Monk sera aussi très proche. Bird est malade, vidé par l'alcool, la drogue, les ulcères. Il ne veut pas se faire hospitaliser. Le 12 mars, toujours chez la baronne, il regarde un show télévisé où des jongleurs ratent leur numéro. Il rit, il tousse et il meurt. Pneumonie lobaire, dira le médecin qui estime son âge à 53 ans. Il n'en avait que 34.

V comme Vitesse. L'intelligence dans le mouvement, mais aussi la vitesse dans la musique de Charlie Parker. Certains ont parlé de salves de feu, d'autres, d'échappées solitaires. Un soir dans un studio de radio, raconte l'historien et critique Nat Hentoff, un musicien saisit un enregistrement de Bird sur 78 tours et le fit tourner sur le plateau à 33 tours. "Maintenant écoute, disait-il, la vitesse est assez lente pour que tu saisisses tout ce que Bird est en train de faire, pour que tu puisses entendre comment il développe et met en forme ses idées "... "C'est une mitraillette mais qui n'est pas agressive ", explique pour sa part le saxophoniste Olivier Témime cité par Franck Médioni. Et il ajoute: "Il égrène les accords, c'est l'un des premiers qui joue vertical, et cela reste toujours mélodique. Même dans les improvisations les plus échevelées."

W comme West Coast. La 52e Rue à New York avait une arrière-cour côté West Coast: le Billy Berg's de Los Angeles, un club immunisé contre toute ségrégation sociale. C'est plus précisément Dizzy Gillespie qui part le premier à la conquête de l'Ouest lorsqu'il est engagé en décembre 1945 avec Bird à ses côtés. Le pianiste Al Haig, le contrebassiste Ray Brown et le batteur Stan Levey complètent le quintet. Le vibraphoniste Milt Jackson et le saxophoniste californien Lucky Thompson ont également été requis pour remplacer Parker au cas ce dernier, déjà réputé pour son comportement erratique, serait manquant. Malgré un accueil mitigé du public, le bop gagne rapidement la Côte Ouest. Parker et Gillespieenregistreront même une séance à Hollywood pour l'armée américaine ainsi qu'une autre avec Slim Gaillard.

X comme Xanax. Réduire l'angoisse, augmenter la paranoïa... Si le Xanax a ainsi sévi chez pas mal de rappeurs à l'instar du LSD dans les années psyché, la génération Charlie Parker, elle, eut droit au phénobarbital, ce barbiturique utilisé notamment pour les troubles du sommeil, ou alors comme sédatif pour soulager des symptômes d'anxiété. Bird en avala six comprimés pour tenir debout lors de sa déchirante version de Lover Manen juillet 1946. Sa dépendance aux médicaments fut cependant moins notable que pour d'autres musiciens, à l'instar de Bud Powell, assommé par le largactil, ou encoreThelonious Monk qui se faisait prescrire des doses massives de thorazine, un autre puissant neuroleptique. En ce qui concerne Charlie Parker, les addictions à la drogue, à l'alcool et au tabac furent bien plus dévastatrices.

Y comme Yardbird. Yardbird, c'est le "bleu" dans l'armée. Ou alors le "tire-au-flanc". Celui qui est de corvée. Charlie Parker a acquis ce surnom au début de sa carrière dans l'orchestre de Jay McShann. Sa forme abrégée, « Bird », lui restera associée tout au long de sa vie, allant jusqu'à inspirer les titres de certaines de ses compositions comme Yardbird Suite ou Ornithology. Jay McShann a pourtant donné une autre explication à ce surnom qui serait lié à la nourriture préférée de Parker. "Donnez-moi ce Yardbird ! ", disait-il souvent lorsqu'il commandait un menu au restaurant. Le critique Ira Gitler rappelle de son côté que "yard " signifie "cour " et que c'est justement en passant par la cour que le tout jeune Charlie Parker se glissait dans les clubs à Kansas City.

Z comme Zawinul. Le pianiste Joe Zawinul n'a jamais oublié les heures mythiques qu'il a passées au Birdland, ce club ne-yorkais de la 52e Rue ainsi baptisé en l'honneur de Charlie Parker. Il en fera l'un des titres les plus connus du groupe de jazz rock Weather Report qu'il animait avecWayne Shorter. Birdland est joué pour la première fois sur l'album Heavy Weather, sorti en 1977, avec notamment une intro de basse hypnotique de Jaco Pastorius. Depuis 2018, ce morceau figure au sein du baccalauréat en option musique. Il a aussi été repris par Quincy Jones dans son album Back on the Block ainsi que par le groupe Manhattan Transfer, avec des paroles co-écrites notamment par le légendaire vocaliste Jon Hendricks.

Abécédaire Charlie Parker, TSFJAZZ, 31 août-4 septembre 2020

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