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L'adieu aux chimères de Kirk Douglas

Le jeudi 06 février 2020, par Laurent Sapir
Clap de fin pour Kirk Douglas et sa longévité gorgée de panache. Monstre sacré d'Hollywood et destin hors pair, il aura surtout fait preuve d'un courage politique pas toujours au diapason de ses choix cinématographiques.

Coup sur coup, en 1950 et 1951, Kirk Douglas joue dans deux films dont les titres en version française laissent bien songeur: La Femme aux chimères, de Michael Curtiz, où on l'affuble d'une trompette dans un récit censé s'inspirer de la vie de Bix Beiderbecke, et Le Gouffre aux chimères qui, à l'instar de son réalisateur, Billy Wilder, paraît avoir mieux passé le cap des années. C'est révélateur, ces chimères au pluriel. Elles renvoient à un autre titre en VF tout aussi halluciné, Les Ensorcelés. Ou alors aux rêves insensés d'un Spartacus à la fois conquérant et martyr. Ou encore au pari de fêter son anniversaire à 103 reprises.

C'est qu'à force de poursuivre les chimères, on peut aussi décrocher la lune. Spartacus ne met pas seulement le charisme légendaire de Kirk Douglas à l'honneur. En tant que producteur, il a également le courage de rendre son vrai nom à son scénariste, Dalton Trumbo, que le maccarthysme avait clandestinisé. Les chasseurs de chimères ne sont donc pas toujours perdants. On peut flamboyer entre deux blessures, s'imposer et en imposer, même lorsqu'on est né Issur Danielovitch Demsky et qu'on est le fils d'un chiffonnier ayant fui la Biélorussie des ghettos et des pogroms.

Peu d'acteurs ont ainsi réussi à réinventer le rêve américain par le seul acier de leur destin personnel et de leur volonté transformée en glaive. La filmographie de Kirk Douglas, du coup, ressemble plus à un édifice qu'à une trajectoire. Faute de la maîtriser suffisamment ou d'y repérer ce qui pourrait naturellement intégrer notre ADN de cinéphile, on y décerne surtout des mythologies qui s'empilent (Les Vikings, 20 000 Lieues sous les mers...), un CV de cador (Patton dans Paris brûle-t-il, Van Gogh sous la direction de Vincente Minnelli, Doc Halliday dans Règlements de compte à OK Corall… ), le panache au service des grandes causes (Les Sentiers de la gloire...), mais sans forcément retrouver le mystère et le magnétisme propres à d'autres icônes, de Marlon Brando à Al Pacino, en passant par Warren Beatty et Jack Nicholson.

Trop à la hache, les traits de Kirk Douglas ? Trop voyante, la fossette ? Un film, tout de même, dans ce qu'il avait de crépusculaire et de désarticulé, a épousé à la fois sa puissance de jeu et ses ombres secrètes. Il s'agit de l'envoûtant The Arrangement, d'Elia Kazan (1969), où l'acteur bouillonne de l'intérieur en publicitaire "destroy" au côté de Faye Dunaway. La séquence de lâcher prise du volant lorsque la voiture du personnage principal passe sous un camion n'a pas fini de nous hanter. Kirk Douglas, à cet instant, n'a plus aucun masque. On dirait son adieu aux chimères.

Kirk Douglas (9 décembre 1916-5 février 2020)

 

 

 

 

 

 

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