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JOE CASTRO

Encre sympathique

Le mardi 01 octobre 2019, par Laurent Sapir
Une femme disparaît, mais c'est d'abord une apparition sous la plume de Patrick Modiano. Avec "Encre sympathique", le Nobel de littérature 2014 n'a jamais autant fait confiance à l'intuition des âmes.

"Il y a des blancs dans une vie, mais parfois ce qu'on appelle un refrain", écrit Patrick Modiano. On croit le reconnaître dès les premières pages, ce refrain cher à l'auteur. Ces pointillés, ces fantômes, ces volutes de spleen qu'on a pu comparer jadis aux nuages de Django Reinhardt, le lecteur s'apprête à en goûter à la fois la ciselure et la contingence. C'est beau, le style Modiano, mais c'est fugace. Parfois, la bulle éclate sitôt achevée la dernière page, renonçant à harponner notre mémoire lorsque la sollicitent des récits aux airs plus robustes.

Et voilà que sous couvert d'Encre sympathique, autrement dit cette substance rendue ultérieurement visible par divers procédés, Modiano nous surprend. Une femme disparaît, "figurante à la pellicule voilée " prenant subrepticement chair de Paris à Rome, "la ville de l'oubli ". Un type la traque, d'abord au sein d'une agence de détective, puis au gré de ses rencontres et de ses réminiscences. Des témoins l'embrouillent, ils ont des noms bizarres (Gérard Mourade, Roger Béavioure...), le temps passe, mais "on n'oublie jamais les passagers de ces cars d'été ou d'hiver que l'on prenait en d'autres temps"...

Comment s'y est-il pris pour que l'émotion, cette fois-ci, ne se contente pas d'affleurer ? Seul indice donné par Modiano, cette comparaison suggérée à un moment du récit entre le romancier et le skieur qui "glisse pour l'éternité " sur une pente raide. "Elles viendront après, les ratures", ajoute l'auteur, comme si avec l'âge émergeait le lâcher-prise. Un Paris éternellement vintage où surnagent encore une poste restante et un dancing du bord de Seine prend dès lors un tout autre relief tandis qu'une femme sans nom -peut-être même sans prénom- accède enfin au statut d'héroïne romanesque au beau sens populaire du terme. Jusqu'à être surnommée "la bergère des Alpes " !

"Si vous avez parfois des trous de mémoire, tous les détails de votre vie sont écrits quelque part à l'encre sympathique ", nous promet Patrick Modiano qui ne croit pas si bien dire. Au sommet de son art dans la construction et la musicalité de sa prose, le nobélisé d'il y a cinq ans instille dans ces fameux trous de mémoire un allant, une confiance dans l'intuition des âmes et une authenticité des sentiments qui surclassent cette rentrée littéraire.

Encre sympathique, Patrick Modiano, Gallimard (En librairie ce jeudi 3 octobre)

 
 
 
 
 

 

 

 

 

 

 

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