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Portrait de la jeune fille en feu

Le samedi 14 septembre 2019, par Laurent Sapir
Sublimé par une Adèle Haenel aussi poignante que charnelle, ce "Portrait de la jeune fille en feu" de Céline Sciamma, primé à Cannes, nous étreint d'une combustion lente qui déjoue tous les pièges du film en costumes.

Toile de maître, au féminin si singulier de Céline Sciamma. Avec son frémissant Portrait de la jeune fille en feu, la réalisatrice délaisse les clichés contemporains de Bande de filles pour nous plonger dans ce qui, à première vue, ferait encore fuir d'avantage: le récit d'époque, les considérations sur l'art, le message féministe grossi à la loupe... Et pourtant, miracle ! On vibre, on fond, on pleure. C'est lourd et serré, un corset. Sauf lorsque la façon de l'enlever donne matière à l'un des plus beaux films français de l'année.

1770. Marianne (Noémie Merlant), une peintre affranchie mais presque déjà asséchée, dirait-on, par les contraintes de genre que son siècle lui impose, débarque sur une île bretonne battue par les vents. Sa mission ? Faire le portrait d'Héloïse (Adèle Haenel), jeune châtelaine promise à un mariage arrangé dont la conclusion dépend, justement, de la réalisation de ce portrait. Le modèle résiste, à bon escient. Une première ébauche, d'ailleurs, ne satisfait ni la regardante, ni la regardée. Pas assez d'âme, pas assez d'amour... Et puis tout se craquelle, peu à peu.

Rebecca en plein Vertigo ? Hitchcockienne comme il se doit, Céline Sciamma enrobe de lumières à la Corot son couple blonde/brune. Elle cisèle, surtout, un cinéma de "lente flèche dans le cœur" pour raconter ce qui s'apparente à tout sauf à un coup de foudre. Comme des masques japonais qui se fissurent, tel le vernis académique des premières scènes parfaitement représentatives d'un art du vrai-faux semblant, Marianne et Héloïse s'apprivoisent avant de se consumer. Bientôt, elles s'aimeront en se disant "vous", redoutant par-dessus tout le moment fatal où Orphée se retourne vers Eurydice.

Elles n'ont vraiment rien d'éthérées, on l'aura compris, ces combustions de romance. Surtout quand les entoure, au milieu du récit, une séquence décisive de chœur féminin a capella avec les femmes du village, autour d'un feu de bois. On pense alors à la mélopée bluesy de Bertrand Bonello dans cette autre assomption picturale (et féministe) qu'était Apollonide, souvenirs d'une maison close. Ainsi s'estompent les frontières de classe entre personnes du même sexe -celui des opprimées. Même solidarité féminine lorsqu'un personnage de servante est confronté à un avortement.

Difficile, au final, de ne pas être emporté par cette alchimie de corps et d'algues tellement moins plombante, malgré le même environnement insulaire, que La Leçon de piano. Tellement plus pudique, également, que La Vie d'Adèle. Car c'est bien une autre Adèle qui subjugue, ici, au côté de celle qui la peint dans le film, l'ardente Noémie Merlant. Elle a pu nous agacer, autrefois, Adèle Haenel, mais dans la peau de la farouche, charnelle et poignante Héloïse, avec ces boucles blondes à fleur de peau et cette fragilité incandescente qu'on n'avait encore jamais vue à l'écran (y compris sous la direction de la cinéaste qui l'a révélée), elle bat Mona Lisa à plate couture.

Portrait de la Jeune fille en feu, Céline Sciamma, prix du scénario à Cannes. Sortie en salles le 18 septembre. Coup de projecteur le même jour, sur TSFJAZZ (13h30), avec Adèle Haenel.

 

 

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