Direct
TRISTE ALEGRIA
ROBERTO FONSECA

Ce plaisir qu'on dit charnel

Le jeudi 04 août 2022, par Laurent Sapir
Initiations en trompe-l'œil, virilités défaillantes... Le magnifique "Ce Plaisir qu'on dit charnel" réalisé par Mike Nichols en 1971 a plus que bien vieilli, grâce notamment à cet acteur de génie qu'est Jack Nicholson.

Encore une œuvre où Jack Nicholson irradie de bagout, de détresse et de rage. Ces mots, on le sait bien, lui sont souvent accolés même si de film en film, il met parfois davantage l'accent sur l'un de ces trois termes par rapport aux deux autres et que son jeu s'inscrit alors dans une mise en scène plus abstraite (Five Easy Pieces du regretté Bob Rafelson, Shining...), plus débridée (La Dernière corvée), ou alors plus collective (Vol au-dessus d'un nid de coucou).

Ici, c'est une autre alchimie. Elle est disons plus... charnelle, en écho à un titre de film ô combien fantasmatique dans notre période ado avant qu'on en découvre enfin, grâce au distributeur Lost Films, toute l'inventivité et la tendresse mâtinée de férocité. Au départ, Moonlight Serenade, de Glenn Miller. Ensuite, tout part de traviole. Ce qui débutait comme une initiation sexuelle façon Le Lauréat, l'autre grand film de Mike Nichols, se poursuit en "débandade" généralisée du mâle occidental face à des cogneuses, des bousculeuses et des authentiques au féminin pluriel

A commencer par la saisissante Candice Bergen (future épouse de Louis Malle...), courtisée tour à tour par Art Garfunkel (sans Paul Simon...) et son pote de fac joué par Nicholson. Chacun joue sa partition: sensible et romantique pour l'un, machiste et grande gueule pour l'autre. Les années passent jusqu'à l'orée des années 70 et à un renversement des rôles inattendu. Le "gentil" Art s'érode dans l'expérience du couple pour devenir froid et méprisant. A contrario, Nicholson s'avère le plus tourmenté à la rencontre d'Ann-Margrett dont la sincérité dépressive, derrière ses formes affriolantes, déconstruit tous les stéréotypes jusqu'à mettre en péril la libido de son compagnon.

Bagout, détresse, rage... La mise en scène ne badine plus. Des champs-contrechamps avec regard caméra lui donnent soudain un autre rythme. Nichols isole et emprisonne ses deux protagonistes lorsqu'ils confessent leurs impasses conjugales, un peu comme s'ils passaient sur le divan d'un psy. Le procédé a inspiré Woody Allen, paraît-il, mais le propos ici s'avère bien plus désenchanté et incarné lorsqu'il s'agit de cerner des conventions piégées et des désirs synonymes d'impasses.

Pas la peine pour cela d'agiter la caméra dans tous les sens. Le réalisateur cadre au contraire comme dans un jeu d'échecs, avec parfois des mouvements souples magnifiés par le chef op' italien Giuseppe Rottuno. Ce sublime panoramique, par exemple, lors de la scène du cocktail qui voit Art Garfunkel tenter d'aborder Candice Bergen sous le regard sacarstique de Jack Nicholson.

Plus loin dans le récit, surgit une patineuse tout en blanc sur fond blanc, silhouette diaphane et éthérée, tel le reflet inversé des différents types de femmes bien plus charnelles, justement, qui gravitent autour des deux compères... Cette même patineuse sur fond blanc qui revient à l'esprit de Nicholson à la toute fin du film lorsque, sur un air de raga indien, une prostituée campée par Rita Moreno s'efforce de ranimer sa virilité en récitant un monologue érotique qu'il lui a fait apprendre par coeur. A tant parler sexe, il s'évanouit dans un espace immaculé.

Ce plaisir qu'on dit charnel, Mike Nichols (1971). Reprise en salles grâce au distributeur Lost Films.

 

 

Partager l'article
Les dernières actus du Jazz blog