Direct
ALL OR NOTHING AT ALL
THOMAS ENHCO

Retour à Minneapolis

Le lundi 01 juin 2020, par Laurent Sapir
À l'heure où Minneapolis est devenu l'épicentre d'une révolte qui embrase l'Amérique après la mort atroce de George Floyd, un père de famille noir asphyxié par un policier, retour sur un album historique de Michel Portal.

Il y a presqu'une vingtaine d'années, en 2001, Michel Portal est parti à Minneapolis, dans le Minnesota. Avec le producteur du label Nato, Jean Rochard, qui a passé une partie de sa vie dans cet État du nord des États-Unis, le clarinettiste-saxophoniste s'est imprégné de cette ville, de son âpreté et de son histoire.

C'est là où fut sévèrement réprimée en 1934 une grève des camionneurs. C'est aussi à Minneapolis qu'a vu le jour en 1968 l'AIM, l'American Indian Movement, ce mouvement pour les droits civiques des Natifs Américains qui allait faire parler de lui quelques années plus tard à Wounded Knee, dans le Dakota voisin, et dont l'un des militants, Leonard Peltier, est aujourd'hui encore le plus ancien prisonnier politique aux États-Unis.

Des Rouges, des Indiens, des Noirs... Presque 20 ans avant le martyr de George Floyd et les plaies raciales à nouveau cruellement ravivées dans l'Amérique de Donald Trump, Michel Portal enregistrait l'album Minneapolis avec le pianiste Tony Hymas, le guitariste Vernon Reid et la rythmique du chanteur Prince, le bassiste Sonny Thompson et le batteur Michael Bland

Album décrié à l'époque. Des grumeaux de rap s'incrustaient dans un funk énervé, des soli langoureux côtoyaient des embardées givrées, des fugurances de groove s'entrechoquaient... Pure libération en même temps pour ce feu follet du jazz hexagonal qu'a toujours été Michel Portal, transbahuté ici dans une cité musicalement décomplexée, avec des artistes jouant dans tous les lieux, tous les styles -le fameux son de Minneapolis.

Presque 20 ans après, on craque toujours pour ce disque à la pochette miraculeuse avec ses gamins rieurs et multicolores. Sur une ligne de basse électrisante, une fille du Minnesota qui n'était pas n'importe qui -Miss Judy Garland herself- inspire au clarinettiste l'une de ses plus belles compositions. Une sourde inquiétude irrigue les pulsations dansantes de On Nicollet Avenue. Le Goodbye Pork Pie Hat de Charles Mingus est revisité en mode mezzo voce: ça sonne encore plus requiem, comme par anticipation... Noirs et Blancs, causes communes. Comme aujourd'hui encore à Minneapolis, épicentre d'une autre Amérique. Celle qui, quelque soit sa couleur de peau, ne supporte plus l'impunité d'une oppression ancestrale ni les provocations haineuses du pire président de son histoire.

Minneapolis, Michel Portal, 2001 (label Nato). À  signaler également la sortie le 19 juin, sur le même label, de Vol pour Sidney (Retour) en hommage à Sidney Bechet.

 

 

Partager l'article
Les dernières actus du Jazz blog