La Disparition d'Hervé Snout
La plume toujours plus corrosive d'Olivier Bordaçarre a trouvé une nouvelle cible: Hervé Snout, piètre mari et patron se croyant tout permis avant de disparaître mystérieusement. Résultat: un roman d'une noirceur jubilatoire.
De la cuisine des Snout, noyau familial gangréné d'aliénations en tous genres, Olivier Bordaçarre écrit qu'elle "est à la fois cabine de pilotage, salle des machines et pièce de vie collective ". Soudain, le bug... Le supposé pilote en question, Hervé Snout, n'est pas rentré pour dîner, ce soir-là, alors qu'un bœuf bourguignon mitonné tout la journée l'attendait en guise de repas d'anniversaire.
Des allusions à la viande, il y en aura d'autres, et plus explicites encore au gré de ce polar grinçant où l'on découvre peu à peu qu'Hervé Snout gagne sa vie en dirigeant un abattoir et que sa soudaine disparition n'est pas forcément la plus mauvaise nouvelle du monde, notamment pour sa pulpeuse épouse qui tentait déjà tant bien que mal de conjurer les affres du purgatoire conjugal dans les bras du médecin de famille. De fait, le disparu est un gros con: patron maltraitant, mauvais mari, mais aussi père pathétique ne percevant même pas à quel point son bourrin de fils, Eddy, reproduit toutes les tares de son paternel tandis que sa fille, Tara, seul élément mature dans la famille malgré ses 14 ans, préfère s'éloigner peu à peu d'un milieu familialement et sociologiquement aussi pestilentiel.
La plume d'Olivier Bordaçarre épingle nos bienséances avec encore plus de piquant que dans les plus bluffants de ses précédents romans, Dernier désir en tête. Pas de jazz ou de blues ici, certes, mais une ode quand même bien swinguante au Faut qu'ça saigne qu'un certain Boris Vian n'aurait pas renié. Un malheureux porcelet baptisé FR 35ABC 501215 en fait les frais dans l'un des passages les plus dingues du roman, ainsi qu'un flic suicidaire dont le sort est restitué avec la même méticulosité phénoménologique et pince-sans-rire que chez Jean-Patrick Manchette.
Le titre du livre, enfin, rappelle inévitablement un certain Georges Pérec, tout comme ses premiers mots ("Oui, cela pourrait commencer ainsi, ici, comme ça ") exhumés de La vie, mode d'emploi. À l'instar de son illustre devancier, Olivier Bordaçarre se donne quelques contraintes: il n'a jamais recours, par exemple, au moindre dialogue. Comme Pérec, il a aussi dans le viseur les avatars d'un consumérisme effréné et la déshumanisation rampante à laquelle il conduit. On n'oubliera pas de sitôt, à ce propos, cette image à la fois consternante et désopilante du mug fantaisie d'Hervé Snout qui représente un gros bonhomme dans une chaise longue sirotant son cocktail avec pour légende: "c’est qui le chef ?"
La Disparition d'Hervé Snout, Olivier Bordaçarre (Denoël). L'auteur était l'invité, mercredi dernier, de l'émission Caviar pour tous, Champagne pour les autres, sur TSFJAZZ. À réécouter ici: