Jeunesse (Le Printemps)
Amour, boulot, dodo... Entre exploitation éhontée et résilience aux accents fleur bleue, le documentariste chinois Wang Bing dresse un tableau saisissant des conditions de travail auxquelles sont soumis de jeunes ouvriers du textile près de Shanghai.
Ils ont 20 ans, et ils ne laisseront personne dire que c'est le plus bel âge de la vie. Surtout à Zhilin, cette cité de la région de Shanghai parsemée d'ateliers de confection et où affluent des milliers de jeunes corvéables à merci. Avant de s'affaler dans un dortoir sommaire juste au dessus de l'atelier, leur journée de travail peut durer parfois jusqu'à 23 heures. Le salaire, lui, est versé à la pièce. Le pire, comme le dit l'un des protagonistes, c'est les shorts: "ça paie mal, et le tissu est difficile "...
Tout est requis, on le voit, pour une vision particulièrement sombre de l'enfer économique made in China, sauf que derrière la caméra de Wang Bing, grand nom de l'école documentaire chinoise depuis une fameuse fresque sur le démantèlement d'un complexe industriel (À l'ouest des rails, 2004...), les damnés de la terre offrent un visage plus surprenant qu'on ne l'imaginait.
Il est vrai que la "jeunesse" scrutée par le cinéaste est assez bariolée dans son allure générale. Ce sont des esclaves, mais des esclaves vifs et joyeux, toujours à l'affût de leur portable dernier cri, soignant leur look, flirtant ou blaguant entre eux. Parfois, ça se chamaille entre deux coutures, l'usage de la paire de ciseaux s'en trouvant dangereusement malmené...
D'autres séquences donnent à voir la réalité d'une exploitation éhontée: un avortement, une blessure à la main... Autant d'accrocs qui ne sauraient faire dérailler la machine, et lorsque des augmentations de salaires se négocient pendant des heures avec un patron dans un secteur qui échappe visiblement au contrôle de l'économie par l'Etat, le résultat est souvent dérisoire. Qu'elle soit tremblée ou stable, la caméra de Wang Bing est toujours là où il faut, à la bonne distance, enregistrant la pulsation permanente d'un système et de celles et ceux qui le font tourner.
Cette dialectique du collectif et de l'individu, Wang Bing l'inscrit dans la durée. 3h30 ne sont pas de trop pour que ce flux des machines à coudre et des sourires harassés nourrisse un dispositif fascinant. On est moins convaincu, en revanche, par la multiplicité de situations jumelles qui créent à la longue un effet de répétition pas toujours opérationnel. De fait, Jeunesse (un printemps) souffre peut-être d'un trop grand nombre de personnages. Ce film-fleuve n'en demeure pas moins une expérimentation marquante sur le plan cinématographique.
Jeunesse (le printemps), Wang Bing, sélection officielle à Cannes en 2023, en salles depuis le 3 janvier.